Entre Mythe et Réalité : Faire Boire du Sang comme Test de Paternité, Science ou Magie ?

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En Haïti, entre 25 et 30 % des hommes qui pensent être le père d’un enfant ne le sont pas biologiquement, selon le média en ligne AyiboPost. À la place Jérémie, une localité de Carrefour-Feuilles, nous avons interrogé plus d’une vingtaine d’hommes sur la question ; d’après eux, cette pratique est fiable, et s’ils en avaient l’occasion, ils n’hésiteraient pas à y recourir. Non loin de la place Jérémie, dans un endroit appelé ParyajPam où l’on fait des paris sportifs et autres, nous avons interrogé de nombreux jeunes garçons. Eux aussi ont affirmé la même chose ; d’après une estimation, sur 100 personnes dans cette localité, 20 à 30 pratiquent cette méthode.

En vertu de l’article 3 de la loi du 4 juin 2014, qui accorde au père le plein droit de contester la paternité de l’enfant s’il y a des doutes sur sa filiation, il est clair que la loi haïtienne interdit la polygamie. Cependant, en Haïti, l’infidélité n’est pas un sujet d’intérêt de l’État. Une femme peut avoir plusieurs conjoints, tout comme un homme, ce qui peut susciter des doutes chez ce dernier.

De plus, le mouvement féministe prône le droit à l’avortement, et selon ses membres, l’État ne devrait pas sanctionner une femme qui pratique ce qu’ils appellent « kanpe gwòs ». En Haïti, le code pénal interdit aux femmes d’avorter. Selon les féministes de SOFA (Solidarite Fanm Ayisyen), une institution qui lutte pour l’émancipation de la femme, ce code pénal est obsolète et doit être révisé. Cependant, du côté masculin, les hommes font boire leur sang aux bébés pour déterminer s’ils sont leurs enfants. Cette pratique est largement acceptée par la population, enracinée dans la tradition, et il est difficile de convaincre les gens de son inefficacité.

Peut-on en déduire que cette pratique repose sur l’expérience ? Si l’on se réfère à l’empirisme philosophique, qui suppose que la connaissance savante, philosophique ou scientifique découle entièrement de l’expérience, on pourrait affirmer qu’elle s’inscrit dans la démarche de John Locke.

Néanmoins, peut-on considérer cette pratique comme relevant de la magie ? Helena Blavatsky, philosophe, occultiste et journaliste, définit la magie comme la science ou la connaissance des principes permettant d’acquérir l’omniscience et l’omnipotence de l’esprit, ainsi que le contrôle sur les forces de la nature, tout en étant encore dans le corps. Cette définition de la magie présente des similitudes avec la science, bien que nous sachions que la science repose sur l’expérimentation et l’observation. Dans cette même perspective, Nicolas Vonarx, infirmier et anthropologue de la santé, dans son ouvrage intitulé « Le Vodou haïtien entre médecine, magie et religion », met en évidence la complexité et le pluralisme de la médecine en Haïti. Il identifie trois secteurs dans le pays :

  1. La médecine créole, héritage des Africains.
  2. La biomédecine ou médecine occidentale, soutenue par les ONG.
  3. Les églises aux missions de guérison, qui adoptent une gestion spirituelle de la maladie.

Bien que la théorie de Vonarx puisse différer du vaudou, il existe des points de convergence. En Haïti, la population adhère aux pratiques vaudouesques, même si la magie employée par le vaudou est principalement de nature noire, ce qui peut être différent de la magie en général. Toutes ces théories avancées pour mieux comprendre cette pratique ne relèvent pas de la spéculation.

Lucien Jean, un homme de 45 ans, nous a confié qu’il a utilisé cette pratique à deux reprises ; les bébés sont décédés à chaque fois. Il a affirmé qu’il continuerait malgré tout, en disant : « Okipe pitit ki pa pou ou pa dous menm, pa gen egare ankò » en guise de conclusion.

Par contre, Mercy Roumain, un jeune étudiant en quatrième année à la Faculté de Médecine et de Pharmacie, adopte une approche scientifique contraire. Selon lui, faire boire du sang au bébé n’est pas la meilleure méthode pour établir la paternité. Il a expliqué que si le sang de la personne en question est infecté, il y a de fortes chances que le bébé meure si son système immunitaire n’est pas suffisamment puissant pour combattre l’infection. De plus, le groupe sanguin du bébé ne correspond pas nécessairement à celui de ses parents. Par exemple, si le père a un groupe sanguin A avec un génotype AO, et que la mère a un groupe sanguin B avec un génotype BO, après le croisement, les phénotypes des descendants de ce couple seront de 25 % pour le groupe A, 25 % pour le groupe B, 25 % pour le groupe AB et 25 % pour le groupe O. Cependant, les groupes sanguins sont héréditaires. D’après Mercy Roumain, la méthode qui consiste à faire boire du sang au bébé n’est pas fiable pour établir la paternité et cela met en jeu la vie d’un être humain ; c’est un crime. Un test ADN est plus sûr sur le plan scientifique et n’entrave pas la vie d’un bébé innocent.

Enfin, en Haïti, le coût d’un test de paternité varie de 1000 à 2000 $ US, or il n’existe que deux laboratoires dans le pays, au Cap-Haïtien et à Port-au-Prince, selon AyiboPost. Ce qui le rend inaccessible pour de nombreuses personnes. La religion et les croyances traditionnelles jouent un rôle inhérent dans la société haïtienne, et les pratiques magiques sont souvent préférées à des méthodes scientifiques plus onéreuses. Il est essentiel que chacun comprenne que le test de paternité est une question de science, et non de magie, et qu’il ne s’agit pas de se piquer le doigt et de faire boire son sang au bébé.

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